Plus d’uniformes, moins de règles


Dès le Mexique et pour toute l’Amérique centrale, on a dû s’adapter à d’autres façons de faire, d’autres codes, d’autres permissions, d’autres restrictions. En gros, en Amérique centrale, c’est moins carré. Quand on passe la frontière d’un pays, rien n’est très clair. Quand un policier nous arrête pour une infraction à un règlement (par exemple ne pas avoir de plaque d’immatriculation devant le véhicule), ça ne veut pas dire qu’il existe. Quand on nous annonce un prix, il peut changer. Quand on nous accorde le droit de dormir sur un terrain de station-service, ça ne veut pas dire qu’on sera tranquilles (car un garde viendra sans doute nous voir plus tard ou au matin pour nous demander tout à coup un pourboire). Vous l’aurez devinez, il s’agit de parler dollars et tout peut se transformer.


L’idée à retenir, c’est qu’on ne perçoit pas l’État comme une organisation forte à laquelle se fier et qui assurerait une bonne qualité de vie aux gens. Ça vient évidemment d’un manque de fonds et de la corruption. Quand on passe les frontières, c’est tout broche à foin (voir l’article sur le Honduras). Quand on roule, on a l’impression de traverser des déchetteries, comme si à certains endroits les ordures n’étaient jamais ramassées. Il n’y a de recyclage nulle part. Au Hogar Infantile où on a passé plusieurs jours, les enfants étaient souvent en congé parce que les profs, non payés depuis 4 mois, se réunissaient pour essayer de trouver une solution.


Dans ce contexte, tout le monde se débrouille comme il peut et agit avec plus de chacun-pour-soi. C’est un chacun pour soi différent de l’Amérique du nord, il vient du manque de moyens et non du surplus de confort. La ville ramasse peu les déchets? Qui va se gêner alors pour jeter sa bouteille de plastique par terre. Les policiers règlent peu la circulation et font peu respecter les limites de vitesse? Tout le monde en profite. Sur la route, ça veut dire une conduite anarchique, tout le monde essayant de s’imposer au klaxon. Au Guatemala, les chauffeurs d’autobus publics conduisent en kamikazes. Dans les virages, on a des sueurs froides devant la témérité de ceux qui doublent. Matteo en a parlé dans son texte sur la Basse-Californie, une famille peut s’asseoir à 4 sur une moto, personne ne portant de casque évidemment. Ce ne sont pas les policiers qui vont faire respecter les limites de vitesse : ce sont les dos d’âne qui imposent de ralentir (on peut en franchir 50 en passant dans un petit village). Sur certains tronçons, il y a des croix commémorant des accidents à tous les kilomètres.  


Il y a moins, comme en Amérique du Nord, l’idée d’être conscients des autres et de se sentir gênés d’embêter autrui. Par contre, ça, c’est sur la route. Le reste du temps, les gens sont plus chaleureux et inclusifs. On a vu beaucoup moins d’itinérants ou de gens seuls en Amérique centrale. Les villages et villes ont un air très différent : il y a plein de gens dehors, à se parler, à faire leurs tâches quotidiennes, à s’inventer de petits métiers comme « surveillant du stationnement de telle rue ». Les villes sont plus sales, mais des dames viennent nettoyer des devantures de maisons, laver le trottoir, laisser des fleurs ou pétales au sol. Par comparaison, les villes d’Amérique du Nord ont l’air vide, chacun chez soi.


Personne ne nous regardait de travers parce qu’on était différents. La police ne se méfiait pas de nous. Par contre, on représentait un signe de $. On a parfois conduit le soir avec un seul phare, aucun policier ne nous a arrêtés pour ça. Par contre, si on tombait sur un contrôle routier et qu’ils avaient en tête de se faire un peu d’argent, ils pouvaient évoquer tous les prétextes possibles. Par chance, ça ne nous est presque jamais arrivé. En général, les policiers ou soldats armés entraient dans l’autobus, posaient quelques questions, sortaient sans inspection. Car on voit des uniformes partout. Les contrôles routiers sont très fréquents, les supermarchés ont tous leur garde armé, parfois un tout jeune homme qui a juste l’air déguisé, mais qui se prend très au sérieux. Le marché du « garde » et de la protection est florissant. Si on demande à un garde la permission de se garer sur un stationnement de Walmart pour la nuit, on doit parfois franchir deux-trois paliers de hiérarchie avant de connaitre la réponse. Souvent, on ne pouvait pas entrer sur le stationnement des Walmart tout simplement parce qu’il y avait des guérites de protection à l’entrée (trop basses pour nous). En Amérique centrale, Walmart, c’est cher et chic.


Combien ça coute cette histoire


On n’a pas fait les économies qu’on pensait. En fait, notre budget est resté à peu près le même. Au Mexique, la nourriture et l’essence sont moins chères qu’aux États-Unis, mais en revanche on payait nos activités, tandis qu’au Canada et aux États-Unis on allait essentiellement dans des parcs nationaux grâce à notre passe annuelle. Mais sorti du Mexique, tous les autres pays d’Amérique centrale coutent cher en nourriture (notre principale dépense) et en visite. Il fallait payer l’entrée, plus le musée, plus un guide si on voulait des infos. On aurait vécu pour moins cher si on avait pu aller souvent faire nos courses dans de très petits commerces, mais avec l’autobus, on ne pouvait viser que des rues assez larges et des stationnements où il était possible de manœuvrer et de se garer. Ce genre de supermarchés, même locaux, n’étaient jamais bon marché.


Où est-ce qu’on dort?


Nos problèmes de dodos étaient différents. Jamais les policiers ne sont venus nous demander d’aller dormir ailleurs, sauf pour notre protection, parce qu’il y avait trop de voleurs dans le coin. Souvent, quand on s’informait pour savoir si on pouvait passer la nuit à un endroit, les gens ne comprenaient pas « a-t-on le droit » mais « est-ce que c’est sécuritaire ». Nous, par contre, on ne s’est jamais sentis en danger et toute l’Amérique centrale et le Mexique nous sont apparus beaucoup plus sécuritaires et semblables en fin de compte à l’Amérique du Nord point de vue danger et péripéties.


Notre problème n’était pas tant de trouver une place permise, mais de trouver une place tout court. Les routes ne sont pas, comme en Amérique du Nord, larges, les commerces n’offrent pas de vastes stationnements où un VR trouve toujours son petit coin. Tout est étroit, les rues où on n’ose pas s’engouffrer, les petites places de villages, les routes de campagnes à une voie. Il n’y a jamais de routes peu utilisées, de derrière d’usine asphalté ou même plat. S’il y a une route, elle sert. Il faut circuler.


Pour dormir, on se garait dans les rues comme on pouvait, dès qu’elles étaient assez larges. Comme il faisait chaud, on dormait les fenêtres ouvertes, avec tous les bruits ambiants (musique, chiens, coqs, singes, camions de publicité dès 6h le matin). Ce n’était pas souvent tranquille. On a aussi essayé les stations-service, quand on était en campagne et qu’on ne sentait pas trop l’endroit. C’était en général permis (contre rémunération), mais bruyant toute la nuit, avec des camions qui s’arrêtaient à toute heure.


Va te laver!


En Amérique centrale, on ne peut plus compter sur les piscines publiques ou les centres sportifs. On n’en trouve jamais. On a dû être patients, et attendre le prochain camping. Il y a des pays où on est passé sans se laver.


Aller au travail


Une chance que j’avais à peu près fini de travailler! Les bibliothèques publiques sont beaucoup plus rares. Quand on en trouve, elles sont très petites, n’ont pas forcément d’espace de travail ni de connexion internet. La bibliothèque centrale de Mexico était superbe pour travailler (grand espace central qui ressemblait à une cour intérieure) mais n’offrait pas de prise de courant près des tables. Tout le monde travaillait sur du papier.


Porter sa maison sur son dos


On a continué d’être vraiment contents de l’espace intérieur de notre autobus, de la possibilité de stockage pour la nourriture et d’avoir des espaces de vie un peu séparés (Steph et Nina pouvaient jouer aux cartes derrière tandis qu’on travaillait l’espagnol devant). Mais notre véhicule n’était pas bien dimensionné pour tous les recoins d’Amérique centrale. Steph devait faire un bon repérage internet à l’avance (en camping) avant qu’on s’aventure dans des villes. Il y a des activités qu’on a dû laisser tomber, on ne passait tout simplement pas. On pouvait toujours se débrouiller en suivant les autobus publics qu’on croisait (souvent d’anciens autobus scolaires), ça nous rassurait sur notre capacité de nous faufiler dans les petites rues encombrées de vendeurs ambulants, de véhicules garés n’importe comment et qui, en soi, ne nous auraient pas inspiré confiance.


Caroline