Nous arrivons à Devils Tower en fin d’après-midi, après avoir beaucoup roulé, dans une chaleur encore accablante; il faut rapidement décider comment aborder le parc, soit y entrer tout de suite ou le lendemain matin, et surtout envisager où passer la nuit. Il n’y a aucune ville ni stationnement aux abords du parc, seulement un KOA très plein, et nous ne pensions pas payer pour la nuit.

Comme nous avons besoin d’infos plus détaillées sur le parc et sur ses randonnées, nous entrons et rejoignons l’accueil des visiteurs, tout près du monument. Trouver de la place est difficile, c’est surchargé, les gens abondent et prennent d’assaut le chemin qui fait le tour du monument. On fait la file à l’accueil pour parler à une employée du parc, pour prendre de l’eau, pour aller aux toilettes, un groupe nombreux écoute les explications d’un Ranger sous un soleil écrasant, c’est étourdissant. Voyager en autobus nous donne certaines contraintes (véhicule surdimensionné pour ce genre de stationnement, difficulté à trouver une place de camping assez grande à l’intérieur du parc) mais aussi de grandes possibilités : nous décidons de souper là et de visiter le site vers 19h-20h, quand la plupart des gens seront partis et que soleil et chaleur seront moins intenses. On ressortira de nuit pour se garer dans la prochaine ville qu’on trouvera.


En attendant on se relaie pour remplir, grâce à ce point d’eau gratuit, nos deux bidons d’eau à boire (20 litres chacun), on joue aux cartes, les enfants préparent le souper. Quand le soleil décline on est prêts à partir. Sous cette lumière douce et moins directe, Devils Tower est magnifique, des couleurs s’y dessinent, vertes, mauves, le monument se dresse dans le soir, imposant, libéré de l’activité touristique. Il est beaucoup plus majestueux que je l’avais cru; je m’étais figuré une sorte de monolithe isolé dans une terre un peu aride. C’est plutôt une curiosité géologique inexplicable, qui s’élève à cet endroit à 380 mètres (altitude réelle 1558 mètres), entourée d’éboulements, de pins odorants, sur un plateau qui domine les environs.



On croit que Devils Tower est le résultat d’une ancienne activité volcanique, un bloc de lave refroidie dont tout l’alentour s’est érodé au fil des milliers d’années. La lave solidifiée émerge maintenant comme une montagne surnaturelle, faite de colonnes de pierres hexagonales. Quand nous en faisons le tour, on côtoie d’immenses morceaux de rochers le long du sentier : ce sont des parties de colonnes effondrées. Matteo y fait de l’escalade, tandis que Nina court d’un amas de rubans à l’autre, signes de prières laissés par des Amérindiens, comme sur une montagne tibétaine. En juin, Devils Tower est le lieu de cérémonies importantes, et aucun visiteur ne peut tenter l’ascension de la tour, ce qui serait perçu comme une profanation par les Amérindiens. Le soir avance, la spiritualité de l’endroit devient de plus en plus forte. Devils Tower nous semble un mystère, un lieu où on côtoie une nature étrange, protectrice ou menaçante.  


Un homme nous prête son appareil photo, dont le zoom qui nous permet de voir, tout en haut, des grimpeurs en train d’atteindre le sommet. Le soleil va se coucher. Ce sont des humains à l’assaut de l’impossible. Quand nous finissons de contourner la montagne, nous sentons la faune revivre, un serpent glisse le long du chemin, des craquements et des grognements se font entendre dans l’obscurité. Nous quittons l’endroit alors qu’un orage de chaleur sature le ciel; au loin sur la route, dans la vaste lumière, électrique et magnifique, on distingue encore la masse de Devils Tower où les points lumineux des grimpeurs redescendent vers la terre obscure, après avoir approché de si près le ciel.


Caroline